avec Pauline Bebe, première femme rabbin de France
Comment vivre sereinement dans un temps qui nous échappe et qui s’appréhende différemment selon les pays et les cultures ? Faut-il vraiment « lâcher-prise » et si oui quand et quoi « lâcher » ?
Le temps qui nous échappe nous fait souffrir parce qu’il nous condamne à nous déposséder de nous-mêmes. Il ne faut pas s’agripper au temps mais s’en ressaisir. La seule voie possible est de se réapproprier ce que nous faisons : se sentir faire, se sentir agir, se sentir à l'ouvrage, se sentir reconnu. Ce “ressentir” est un mode de conscience sensible qui confirme par les sens et par l’esprit que nous existons à mesure que nous agissons. Il s’agit donc de se sentir au travail tout en se sentant exister.
Répondre par le surcontrôle ?
Lorsqu’on a le sentiment de perdre le contrôle, le premier réflexe est de le renforcer. Sur le plan de l’organisation, cela signifie toujours plus de transparence, de reporting, de deadlines et de volonté de tenir « malgré tout » dans un temps qui nous échappe et dans lequel les autres nous échappent également. L’inflation des process et des contrôles de toutes sortes, s’impose comme la réponse anxieuse et désespérée du système aux personnes qui travaillent pour lui. Chacun doit s'interroger sur son inquiétude à vouloir tout savoir, tout prévoir et finalement ne jamais faire confiance.
Prendre appui sur l'autre
Emparons-nous du temps en mettant la personne singulière, unique, au coeur de nos actions. Non pas seulement la diversité comme valeur à développer mais aussi et surtout la reconnaissance de chacun. Adressons-nous par exemple, à nos équipes de manière individualisée, personnelle, courtoise*. Dans un monde anonyme, rétablissons l'appel singulier.
Se sentir appelé : se sentir appelé à répondre, à contribuer, à coopérer, à innover. Comme dans la Vocation de Saint Matthieu du Caravage, il faut restaurer ce temps de l'autre, où chaque personne ressent que c'est à elle que l'on s'adresse.
*Notre boite mail remplace aujourd'hui l'espace de la machine à café. Evitons donc les mails groupés, mais transformons notre messagerie en un lieu d'échanges et réciprocité chaleureux. La froideur numérique est aussi peu appréciée qu'un café froid.
« Pour s’approcher de quelqu’un, il faut d’abord l’appeler, si possible par son nom, pas en disant « et toi là-bas. Son nom l’effleure et salue son âme, puis il faut lui parler, vayedaber, mais parler pour lui dire quelque chose, davar, un mot et une chose. Un simple bonjour n’est jamais simple…. » Le cœur au bout des doigts. Pauline Bebe
Répondre par le rythme et l’art du rituel : Donnons du rythme à nos journées et à nos semaines. En prenant des rendez-vous avec soi-même et en instaurant des rituels, le temps ne nous échappe plus, il revient.
« Six jours durant nous travaillons à dominer le monde ; le septième jour, nous essayons de nous dominer nous-mêmes » Abraham Heshel, Les bâtisseurs du temps
Tout comme Abraham Heshel dans Les bâtissseurs du temps, Pauline Bebe, première femme rabbin de France, nous renvoie au Shabbat pour nous parler de l’importance du cérémoniel dans notre quotidien. Le rite du Shabbat fait exister le dérisoire avec vigueur, les instants ordinaires deviennent extraordinaires. Il existe dans le Shabbat un potentiel de transformation qui émane d’une répétition de la même expérience, des mêmes gestes. « Aucun moment n’est identique. Lorsque dans la Genèse l’ange de l’Eternel appela Abraham, il le nomma deux fois “ Abraham ! Abraham ! ”. Le second Abraham est différent du premier puisqu’il est en est teinté ». De petites différences surgissent dans les interstices de la répétition. Les process, cette maladie du contrôle, diminuent les libertés tandis que le rituel ouvre la porte à de nouvelles possibilités, et, par là même, à l’innovation. Créons notre temps de "Shabbat" personnel. Osons consacrer un moment par semaine pour rompre avec nos réflexes de contrôle et notre agitation !
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